L’affaire du Mediator® a mis en évidence de graves dysfonctionnements dans le circuit du médicament en France. La Mutualité Française publie ce 10 mars un plan « pour moraliser et moderniser la politique du médicament » dans notre pays. Il contient dix propositions « réalistes et innovantes ».
Négligences en série, cascade de défaillances au sein même du système d’autorisation, d’évaluation et de surveillance du médicament : l’affaire du Mediator® a mis en lumière de graves dysfonctionnements qui ont conduit à ce scandale sanitaire.
Depuis plus de dix ans, la Mutualité Française développe une politique fondée sur « l’utilité et le bon usage du médicament, dans l’intérêt de la population qui les consomme ». Elle publie ce jeudi 10 mars un plan pour « moraliser et moderniser la politique du médicament ».
« Des changements en profondeur sont nécessaires si l’on ne veut pas laisser se développer un sentiment de suspicion à l’égard du médicament, préjudiciable à la santé publique », explique Etienne Caniard, président de la Mutualité Française. « Il convient de faire preuve de sélectivité pour promouvoir les médicaments efficaces et leur bon usage. »
Intitulé « Pour une politique de santé publique indépendante des politiques industrielles », ce plan proposé par la Mutualité Française se décline en dix propositions « réalistes et innovantes ».
Voici les 10 propositions :
1) Faire du progrès médical le critère des autorisations de mise sur le marché (AMM). Aujourd’hui, l’AMM est réduite à un simple agrément de commercialisation. Elle n’intègre pas la notion de progrès thérapeutique. Pour la Mutualité Française, « un médicament ne doit faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché que s’il répond à un besoin avéré de santé et s’il constitue une avancée par rapport aux thérapeutiques existantes ».
Actuellement, de nombreuses AMM sont délivrées pour des nouvelles molécules sur la base d’une comparaison à des placebos qui sont des substances inertes. Ces nouvelles molécules ne sont donc pas comparées au traitement le plus performant qui existe. Pour la Mutualité Française, « les essais contre placebo, aujourd’hui tenus pour satisfaisants, ne doivent plus être acceptés ».
2) Les médicaments doivent être réévalués tous les cinq ans. Actuellement, un médicament est réévalué une seule fois au bout de cinq ans. Ensuite, son autorisation est considérée comme définitive. Pour la Mutualité Française, le retour à une réévaluation quinquennale est une étape cruciale et obligatoire dans la vie du médicament. Cette procédure ne doit pas être une simple formalité administrative mais elle doit se baser sur toutes les données scientifiques et médicales fiables et exhaustives. Cela permettrait de s’assurer qu’un médicament est toujours efficace.
3) Créer une structure de pharmacovigilance financée par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) est en charge des autorisations de mise sur le marché des médicaments et de la pharmacovigilance. Il faut séparer ces deux fonctions pour assurer la vigilance indépendamment de l’autorisation.
La Mutualité Française propose la création d’une structure indépendante pour la pharmacovigilance. Elle serait rattachée à l’Institut de veille sanitaire (InVS). Elle interviendrait sur le suivi des médicaments après leur autorisation de mise sur le marché. Son financement public permettrait de faire des études de pharmaco-épidémiologie. « On pourrait ainsi exploiter des données médicales à partir de l’utilisation réelle des médicaments dans la vie courante par un très grand nombre de patients », argumente Laure Lechertier, responsable du département médicament à la Mutualité française.
4) Mobiliser les professionnels de santé sur le bon usage des médicaments. « Le signalement des effets indésirables nécessite une mobilisation forte des professionnels de santé », relève le plan médicament de la Mutualité Française. Actuellement, ces effets sont sous-déclarés par les médecins et les pharmaciens. La Mutualité Française propose des mesures pour inciter les professionnels de santé à être plus impliqués dans cette démarche. L’utilisation de logiciels d’aide à la prescription certifiés permettrait également de garantir une information de qualité, fiable, actualisée et non promotionnelle sur les médicaments prescrits par les médecins.
5) Réformer la notion de service médical rendu. Le service médical rendu (SMR) par un médicament correspond au bénéfice réel apporté au patient. Mais ce critère médical comporte des sous-critères qui servent de prétexte pour maintenir au remboursement des médicaments inefficaces. Par exemple : le gouvernement a créé les vignettes orange pour des médicaments jugés insuffisants qui continuent à être remboursés à 15% par la collectivité. Pour la Mutualité Française, la correspondance entre le niveau de service médical rendu d’un médicament et son taux de remboursement doit être automatique. Tous les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant doivent être radiés des spécialités remboursables en application de la loi.
6) Réformer la politique conventionnelle liant l’Etat à l’industrie pharmaceutique. Actuellement, il existe des conventions entre l’Etat et les laboratoires qui permettent de fixer le prix des médicaments. Mais il n’existe pas de réelle transparence des prix car ces conventions tiennent à la fois compte du développement économique des laboratoires et des intérêts sanitaires. « Pour lever toute confusion entre les logiques industrielles et sanitaires, il est nécessaire de réformer la politique qui lie l’Etat à l’industrie pharmaceutique », fait valoir Laure Lechertier. Cela permettrait de fixer un prix équitable et juste pour un médicament qui tiendrait compte de l’innovation, des bénéfices pour les patients et des remboursements par l’assurance maladie obligatoire et les complémentaires santé.
7) Généraliser l’utilisation de la dénomination commune internationale (DCI). La DCI est le « vrai » nom du médicament. Elle permet à tous les professionnels de santé et aux patients de savoir ce que contient un médicament pour éviter bien des erreurs. Si le Mediator® avait été prescrit en DCI sous son appellation benfluorex, les médecins auraient été immédiatement alertés sur le fait qu’il appartenait à la classe des fenfluramines, un dérivé de l’amphétamine au fort pouvoir anorexigène. Or, l’utilisation du nom de marque Mediator® a permis aux laboratoires Servier de dissimuler la véritable nature pharmacologique de ce médicament.
8) Suivre et analyser les prescriptions hors AMM. Dans 20% des cas, le Mediator® a été prescrit comme médicament anorexigène dans le cadre de régimes amaigrissants. Or, ce médicament est un antidiabétique : il a donc été prescrit en dehors de son indication, c’est-à-dire hors du champ prévu par son autorisation de mise sur le marché (AMM) Si la prescription hors AMM était encadrée, cela permettrait d’éviter de tels mauvais usages.
9) Réduire l’influence publicitaire de l’industrie pharmaceutique. Un médicament n’est pas un produit de consommation comme un autre. L’information des professionnels de santé ne peut être laissée aux seules mains des industriels. Pour ce faire, il faut renforcer le contrôle de la publicité de l’industrie pharmaceutique. La Mutualité Française propose que la formation initiale et continue des professionnels de santé soit circonscrite au domaine public. « Aujourd’hui, l’information des médecins sur le médicament est prodiguée par 18.000 visiteurs médicaux rémunérés par les laboratoires », signale Laure Lechertier.
10) Faire en sorte que la politique européenne du médicament défende des objectifs de santé publique. Actuellement, la politique du médicament est essentiellement européenne. Elle est articulée autour du prix, de l’innovation et de l’information des patients. L’objectif de la Commission européenne est de favoriser la compétitivité entre les laboratoires. Problème : les intérêts de santé publique risquent d’être relégués au second plan. Pour la Mutualité Française, « le médicament ne peut être assimilé à un produit de consommation courante ». Il est donc nécessaire de mettre en œuvre une stratégie offensive au niveau européen qui défende des intérêts de santé publique.
Ghislaine Trabacchi