« Ces très chères mutuelles » : c’est sous ce titre volontairement polémique que France 5 a consacré hier son « Enquête de santé » aux complémentaires. L’émission, construite autour d’un documentaire de 52 minutes puis d’un débat en direct, a abordé de vraies questions, en particulier celles du renoncement aux soins ou encore de la couverture santé des retraités.
Mais elle a malheureusement entretenu un certain nombre d’amalgames entre les différents opérateurs qui s’est traduit notamment par un usage abusif du mot « mutuelles ». Des confusions que la Mutualité Française n’a pas eu l’occasion de relever puisqu’aucun de ses représentants n’a été convié sur le plateau de Michel Cymes et de Marine Carrère d’Encausse pour prendre part au débat. C’est donc sur Twitter, avec une mobilisation très remarquée du mouvement, que les mutualistes ont pu faire valoir leurs arguments.
Le premier amalgame concerne la solidarité intergénérationelle. Dans son documentaire « Complémentaires santé : inégalités assurées ? », le journaliste Bruno Timsit, souligne, avec l’aide de François Belanger, président d’une association de retraités qu' »au-delà de 75 ans, on ne peut plus souscrire » d’assurance santé complémentaire. « Des pratiques inacceptables », aux yeux de ce retraité qui a décidé d’attaquer les complémentaires en justice pour « discrimination ».
« En moyenne, les plus de 60 ans ont des montants de cotisations trois fois plus élevés que les jeunes actifs », insiste, sur le plateau, Benoit Thévenet, l’un des journalistes de France 5. Mais en réalité, l’évolution des cotisations est très différente selon les catégories d’opérateurs. C’est ce que montre une étude du ministère des Affaires sociales qui indique qu’après 60 ans, les tarifs des mutuelles progressent bien moins vite que ceux des assureurs commerciaux, qui ont tendance à accélérer passé cet âge. Selon ces statistiques très officielles, les mutuelles sont ainsi les acteurs les plus solidaires de la complémentaire santé.
Cette réalité n’a d’ailleurs pas échappé aux seniors, puisque 60% des plus de 60 ans couverts par un contrat individuel ont choisi une mutuelle, alors que seuls 18% confient leur couverture santé à un assureur. Rappelons en outre qu’à l’occasion du passage à la retraite, c’est en premier lieu la perte du financement patronal qui double le prix de la complémentaire pour la personne protégée.
Autre confusion à déplorer : celle entretenue autour des frais de gestion des organismes complémentaires. La question est soulevée par Brigitte Dormont, responsable de la chaire santé à l’université Paris-Dauphine, qui cite le chiffre de 7 milliards d’euros pour la Sécurité sociale et de 6 milliards d’euros pour les complémentaires, encore une fois sans faire la distinction entre mutuelles, institutions de prévoyance et assureurs.
Toujours selon le ministère, les frais de gestion des mutuelles s’élèvent à 18%, ceux des institutions de prévoyance à 14% et ceux des assureurs à 23%. Il est à noter que les frais de gestion des mutuelles incluent des services aux adhérents, tels que le tiers payant, des actions de prévention ou encore la possibilité de profiter des avantages de leurs réseaux de soins. Et les mutuelles ont mis sur pied le premier réseau sanitaire et social non lucratif, fort de 2 500 établissements et services.
On le voit : la comparaison de leurs frais de gestion avec ceux de la Sécurité sociale n’a que peu de pertinence, mutuelles et assurance maladie n’exerçant pas les mêmes métiers.
Les frais de communication, de marketing et de recherche & développement ont également été passés au crible hier soir, à la faveur d’un commentaire de téléspectateur estimant que « les complémentaires dépensent beaucoup d’argent dans les campagnes de publicité ». Là encore, le distinguo s’impose. Comme l’a souligné un tweet de la Mutualité, ces frais, qui s’élèvent à 12% chez les assureurs, ne dépassent pas 5% pour les mutuelles et les institutions de prévoyance.
Au-delà de ces imprécisions, le documentaire de Bruno Timsit a mis le doigt sur de réels enjeux de protection sociale. Les difficultés des retraités à financer leur couverture complémentaire sont une réalité largement dénoncée par la Mutualité Française.
Pour cette dernière, la généralisation de la complémentaire, par le biais de l’accord national interprofessionnel (Ani) de janvier 2013, ne doit être que la première étape d’une « complémentaire pour tous ». Pour l’heure, estime-t-elle, retraités, chômeurs de longue durée et jeunes sont encore sur le bord de la route.
Comment parvenir à une vraie généralisation ? En mettant en place une fiscalité adaptée, comme l’explique Etienne Caniard dans une courte interview dans le documentaire de France 5. Pour encourager la solidarité entre générations, « il faut que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités, qu’ils organisent la concurrence et fixent des règles qui évitent cette segmentation et qui rétablissent la solidarité. C’est ce que nous réclamons depuis des années », fait valoir le président de la Mutualité Française.
Autre frein à l’accès aux soins des Français : l’inflation continue des dépenses en dentaire et en optique, alors même que l’assurance maladie obligatoire ne rembourse plus que, respectivement, 32% et 4% de ces deux postes. Pour garantir l’accès de tous à des soins de qualité à des tarifs maîtrisés, les mutuelles ont mis en place des réseaux de soins, rappelle France 5. Avantage pour le patient : un reste à charge inférieur. En moyenne, celui-ci s’élève à 97 euros au sein d’un réseau conventionné pour une couronne céramo-métallique contre 300 euros hors réseau, et à 112 euros pour un équipement d’optique alors qu’il est de 164 euros en dehors.
Acteurs incontournables du financement de la santé, les mutuelles ont donc des solutions pour renforcer l’accès aux soins. Se passer de mutuelle est « un mauvais calcul, surtout en cas d’hospitalisation », a d’ailleurs fait remarquer Benoit Thévenet.
Mauvais calcul également pour les soins courants : alors que la Sécurité sociale ne rembourse que 51% de ces soins hors ALD, et que le renoncement aux soins est trois fois plus important sans complémentaire santé, une mutuelle est aujourd’hui indispensable pour se soigner. Espérons que ce message sera passé hier soir…