Une mobilisation historique

Un seul sujet à la « une » de tous les quotidiens nationaux, la marche républicaine contre le terrorisme, et trois mots qui reviennent dans tous les titres pour résumer cette journée historique : « liberté », « debout » et « peuple ». « La liberté en marche », titre Le Parisien/Aujourd’hui, alors que Les Echos se félicitent de tous ces citoyens « Unis pour la liberté ». Le Figaro a vu « La France debout », tandis que La Croix titre simplement « Debout ». Enfin, pour Libération, « Nous sommes un peuple », et « Un peuple se lève », constate L’Humanité.

Près de quatre millions de personnes ont défilé samedi et dimanche dans toute la France pour dire leur refus du terrorisme qui a frappé durant trois jours au cœur de la capitale, indique Libération (pages 10 à 14). Le Figaro (page 9) publie la carte des rassemblements "des plus petits villages aux plus grandes villes". Il s’agirait de la plus forte mobilisation jamais enregistrée dans le pays depuis mai 1968, voire la Libération.

A Paris, la foule qui scandait "Je suis Charlie !" et "On n’a pas peur !", était si dense que la préfecture de police a finalement renoncé à effectuer un comptage précis des manifestants. "De la place de la République à celle de la Nation, des tonnerres d’applaudissements retentissent à plusieurs reprises, propageant une même clameur dans la ville. Et quand les manifestants passent devant les forces de l’ordre, ils les applaudissent tout autant", constate Libération.

"Paris est aujourd’hui la capitale du monde", a lancé hier matin le président de la République, avant de prendre la tête du cortège l’après-midi, bras dessus, bras dessous avec la chancelière allemande Angela Merkel et le président malien Ibrahim Boubacar Keita, note Libération (page 18). A la droite de François Hollande, marchait le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, à quelques mètres du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Le parcours des cinquante dirigeants étrangers "n’a guère dépassé 300 mètres", observe Libération (page 18). "Mais une telle brochette de dirigeants étrangers défilant ensemble contre le terrorisme est sans précédent", souligne le quotidien. "Une première historique. Même après le 11 septembre, il n’y avait pas eu un tel rassemblement", ajoute Libération.

François Hollande, resté dans le cortège, est ensuite allé à la rencontre des familles et des proches des victimes, étreignant notamment un long moment le médecin urgentiste, également chroniqueur de Charlie Hebdo, Patrick Pelloux. Une autre soignante, la pneumologue Irène Frachon, expliquait, dans Le Journal du dimanche (page 3), qu’elle serait dans la manifestation de Brest pour défendre "la liberté d’expression et d’action". "Je repense au dessin que Cabu m’avait offert, qui me représente en lutte contre [le laboratoire] Servier au moment de la révélation du Médiator®." Dans la bulle, il avait écrit : "Chamboule-tout !"

De son côté, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik explique, dans Le Figaro (page 12), les mécanismes psychologiques qui sont en jeu dans le fait de s’exprimer collectivement en manifestant. "Au niveau individuel, ces marches permettent de prévenir la survenue de syndromes psychosomatiques et de récupérer sa dignité. Les gens ont raison d’y aller !", lance-t-il. "Face à de tels événements, on a besoin de ne pas rester passif, car rester passif c’est se laisser traumatiser, se soumettre à l’agression", estime Boris Cyrulnik. Cette "force en mouvement va déclencher quelque chose", espère-t-il.

"Il faut que l’esprit de ce 11 janvier reste", a souhaité hier le Premier ministre. Après une mobilisation historique contre le terrorisme, la France se réveille ce matin face à un défi immense : celui de faire durer l’unité affichée dans la rue par le peuple et ses dirigeants. "Des enseignants se sentent désemparés face à la contestation du principe de laïcité" par certains de leurs élèves, notent Les Echos (page 6). Dans certains établissements, on a entendu quelques sifflets lors de la minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo.
"On n’a plus le droit de minimiser le moindre dérapage", estime, dans Le Parisien/Aujourd’hui (page 13) Paul Raout, président de la FCPE, la principale fédération de parents d’élèves. Il souhaite la mise en place d’un numéro vert pour permettre aux élèves, comme aux enseignants,de dénoncer des faits ou des paroles inadmissibles.

La question du "jour d’après" ressurgit dans la plupart des éditoriaux. "Au lendemain d’un week-end régénérateur, le réveil va être dur. Les polémiques vont ressurgir", prévoit Etienne Lefebvre dans Les Echos (page 12). "La gauche devra faire preuve de pragmatisme et bannir tout angélisme. La droite devra être une force d’opposition constructive, hermétique aux dérives extrémistes. Vœux pieux ? A circonstances exceptionnelles, réponses exceptionnelles", conclut l’éditorialiste du quotidien économique.

"Le symbole était évidemment magnifique et la responsabilité des élus, demain, sera considérable pour maintenir cette cohésion et engager les actions nécessaires pour mettre fin à la menace terroriste", souligne également l’éditorial publié à la "une" de La Croix. "Ce sentiment d’unité est bien sûr terriblement fragile. (…) Mais il est permis d’espérer, poursuit l’éditorialiste Guillaume Goubert. Cela relève de chacun d’entre nous. Il faut partout préférer la concorde à la division, choisir la bienveillance plutôt que la méfiance. C’est ainsi que nous serons fidèles à ceux qui sont tombés, que nous vaincrons la peur et la haine."

"Quelque chose d’inouï s’est passé dimanche dans les rues de France. Contre la violence, contre l’obscurantisme, contre la division des communautés. Le pays de Voltaire et de Cabu s’est soulevé dans un immense élan civique", se réjouit Laurent Joffrin dans l’édito de Libération (page 7). "Le pur diamant de cette journée fraternelle va-t-il s’évanouir comme dans un rêve ?", s’interroge le directeur du journal. "Cette mobilisation restera dans les mémoires comme une borne, un amer, un sémaphore démocratique ! Comment la faire fructifier ? C’est tout simple : combattre tous les jours, ici et maintenant, demain et plus tard, avec force, avec patience, la peste identitaire."

Rapprochement entre le groupe MGEN et Harmonie mutuelle
Le groupe MGEN et Harmonie mutuelle "frappent là un grand coup", analysent Les Echos (page 29) à propos du rapprochement engagé entre ces deux groupements. C’est en effet aujourd’hui que ces deux mutuelles signeront une "lettre d’intention marquant leur entrée en discussion exclusive pour une période de six mois", indique le quotidien économique. Objectif : "Former un nouveau groupe d’ici la fin 2015, début 2016", qui réunirait 8,2 millions de personnes protégées.

Avec ce rapprochement, Harmonie mutuelle et la MGEN entendent "enrichir leur métier en passant du seul remboursement complémentaire de prestations de soins à l’accompagnement des parcours individuels, à la prévention collective et personnalisée des risques, voire leur anticipation", est-il écrit dans la lettre d’intention, citée dans Les Echos.

"La question qui nous sera posée demain, à nous complémentaire santé, c’est bien celle du reste à charge. Or, pour pouvoir agir sur le reste à charge, il faut pouvoir agir sur l’organisation du parcours de santé, passer des accords avec les prestataires et les professionnels de santé. (…) Pour innover, pour investir, pour créer de nouvelles solutions mutualistes, nous avons besoin de changer d’échelle", explique le président de la MGEN, Thierry Beaudet.

"Nos deux groupes avaient chacun fait le choix de se poser en “acteur global de santé”. Il s’agit de pouvoir répondre au mieux aux besoins des adhérents tout au long de leur vie. Ceux-ci attendent des réponses assurantielles mieux organisées en termes de prévoyance et de dépen­dance, ainsi que des services", poursuit Joseph Deniaud, président d’Harmonie mutuelle.

Comme le soulignent Les Echos, ces deux entités "ne vont pas fusionner", mais se donnent "le premier semestre pour préciser les contours et les modalités de leur rapprochement". Elles occuperont "une place égale" dans le nouvel ensemble, lequel sera porteur d’une "stratégie unique définie en commun (…) dans une logique de solidarité croissante", indiquent Les Echos, citant la lettre d’intention.

John Sutton et Jean-Michel Molins