Alors que la santé mentale des Français s’est dégradée avec la crise sanitaire, la Mutualité Française dévoile les résultats de son Observatoire et formule dix propositions afin d’améliorer la prise en charge des patients souffrant de troubles psychiques.
Une prévention insuffisante
En France, 1 personne sur 5 est touchée chaque année par un trouble psychique, soit 13 millions de personnes. La consommation d’alcool y est supérieure à la moyenne avec l’équivalent de 130 bouteilles de vin consommées par personne et par an (vs 100 bouteille dans l’OCDE). Même constat pour la consommation de cannabis plus élevée chez les Français (21,8 % des 15-34 ans) que chez leurs voisins européens (14,4 %). Or la consommation abusive de ces substances peut être source de troubles psychiques importants. Quant au taux de suicide, de 13 pour 100 000 habitants, c’est également l’un des plus élevés des pays européens (10,5 en moyenne).
Un accès inégal aux psychiatres et aux psychologues selon le territoire
La France enregistre l’une des densités de psychiatres parmi les plus élevées d’Europe avec 23 psychiatres pour 100 000 habitants, ce qui la situe à la 4e place des 27 États de l’Union européenne. Cependant, les écarts entre les départements sont importants, les densités de psychiatres variant de 1 à 4 entre les moins bien dotés (9 pour 100 000 habitants dans l’Aube et dans le Cantal) et les mieux dotés (34 en Gironde, 36 dans les Bouches-du-Rhône, 37 dans le Rhône). Les psychiatres sont concentrés dans les grandes agglomérations, notamment à Paris qui apparaît comme un cas particulier avec 99 psychiatres pour 100 000 habitants.
Si 62 % de psychiatres ne pratiquent pas de dépassement d’honoraires, une majorité d’entre eux en pratiquent dans certains départements (à Paris, dans l’Essonne, les Yvelines et les Hauts-de-Seine). Le Cantal et la Meuse cumulent faible densité de psychiatres et forte pratique de dépassements d’honoraires.
La psychiatrie est la spécialité la plus consultée à distance après la médecine générale : 6,4 % de l’ensemble des téléconsultations, soit un peu plus de 370 000 téléconsultations. Les téléconsultations en psychiatrie ont connu une croissance exponentielle lors du 1er confinement, passant d’un peu moins de 1 000 consultations en février 2020 à près de 80 000 consultations en avril 2020. Elles demeurent à un niveau supérieur à celui observé avant le confinement avec plus de 30 000 consultations en janvier 2021.
Des restes à charge importants
Les dépenses remboursées au titre des maladies psychiatriques et de la consommation de psychotropes, incluant les soins de ville (29 %), les hospitalisations (48 %) et les arrêts de travail (23 %), sont le premier poste de dépenses par pathologie de l’assurance maladie, atteignant 23,4 milliards d’euros en 2018, tous régimes confondus.
La consommation de médicaments psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques et hypnotiques) en France est l’une des plus importantes d’Europe. 13,4 % des Français ont ainsi consommé en 2015 au moins une fois une benzodiazépine (et notamment des anxiolytiques), ce qui place la France au 2e rang, derrière l’Espagne. Cette consommation est 5 fois supérieure à celle enregistrée en Allemagne, pays le moins consommateur.
40 à 60 % des personnes souffrant de troubles psychiques ne seraient pas prises en charge, la moitié des Français (47 %) indiquant que le tarif de la consultation des psychologues est l’obstacle principal à la consultation.
Parmi les adhérents mutualistes, une personne souffrant de troubles mentaux a, en moyenne, un reste à charge avant intervention de la mutuelle de 1 300 € par an, soit 3 fois plus que les autres patients (470 euros). Près de la moitié de ce reste à charge – 590 euros – est liée à des séjours à l’hôpital. Après intervention des mutuelles, ce reste à charge passe de 1 300 € à environ 200 €.
Un sujet qui touche une majorité de Français
D’après un sondage Harris Interactive pour la Mutualité Française, 64 % des Français ont déjà ressenti un trouble ou une souffrance psychique (75% pour les moins de 35 ans). Et, au cours de la dernière année, 95 à 97 % des médecins généralistes, psychiatres et psychologues font le constat net et partagé d’une augmentation des consultations pour anxiété, sentiment d’isolement, état dépressif et troubles du sommeil.
Pour une majorité de Français (62 % et 70 % pour les psychiatres), le Gouvernement prend mal en compte les enjeux liés à la santé mentale dans son action.
10 propositions concrètes
Face à ce constat, la Mutualité Française formule 10 propositions concrètes afin de faire progresser la prise en charge des patients souffrant d’un trouble psychique. Elle préconise ainsi de développer des actions à destination du grand public pour déstigmatiser les troubles mentaux, pour aider les populations à identifier des signes de mal-être, et pour expliquer les rôles des différents intervenants de la santé mentale.
Elle propose d’investir dans le dépistage et la prévention des troubles psychiques notamment en renforçant les services de médecine préventive et de promotion de la santé (services de protection infantile, médecine scolaire et universitaire, médecine du travail).
Elle suggère de renforcer les compétences psychosociales de la population (gestion du stress, régulation des émotions, gestion des conflits, etc.), en développant des programmes de prévention, notamment pour les parents.
Elle attire l’attention sur la nécessité d’avoir une attention toute particulière sur les populations les plus précaires (personnes sans domicile fixe, migrants) ainsi que sur les détenus en prison.
Elle préconise l’émergence de nouveaux métiers et le développement des protocoles de coopération entre professionnels pour disposer du temps nécessaire à l’accompagnement des patients (avec, par exemple, la formation des infirmiers en pratique avancée en psychiatrie et santé mentale).
La Mutualité Française propose également d’organiser une gradation des soins en fonction de la sévérité des troubles du patient et d’encourager le développement des résidences d’accueil qui permettent une plus grande autonomisation des patients qui sortent de l’hôpital.
Elle appelle à étudier avec les pouvoirs publics, l’assurance maladie, les complémentaires santé et les professionnels les conditions et modalités d’une prise en charge pérenne des consultations de psychologues. Cette réflexion pourra utilement s’appuyer sur les enseignements de l’initiative prise par les mutuelles en 2021 de rembourser 4 séances de psychologue.
Elle demande de forfaitiser le reste à charge à hôpital et de plafonner le tarif des chambres particulières. Enfin, elle aspire à ce que l’allocation de ces dépenses soit au service de la transformation de la prise en charge pour adapter les moyens aux besoins des populations.